La promenade, de Antoinette Quarré (1843).

La promenade amoureuse.

Recueil : Poésies d'Antoinette Quarré, de Dijon (1843)
Viens ! les cieux sont d'azur, la campagne est fleurie,
L'astre brillant du jour se lève à l'horizon,
De suaves parfums embaument la prairie
Et les pleurs du matin brillent sur le gazon.

Viens, ô mon bien-aimé ! la journée est si belle,
Déposons en ces lieux nos soucis, nos travaux,
Et fuyons doucement comme un couple fidèle
De cygnes amoureux glissant au bord des eaux.

Des tilleuls odorants suivons la verte allée,
Au gré de ses détours laissons errer nos pas ;
De nulle crainte ici notre paix n'est mêlée,
Et je puis sans rougir m'appuyer sur ton bras.

Vois, le ciel nous sourit, le zéphir nous caresse,
Le rossignol prélude à ses tendres concerts,
Tout invite au bonheur, convie à la tendresse,
Nos cœurs sont pleins d'amour et les champs sont déserts.

Ainsi, rois de la terre, encor vierge et féconde,
L'un de l'autre charmés en se donnant la main,
Adam et sa compagne aux premiers jours du monde
S'égaraient à pas lents sous les berceaux d'Éden.

Parle, ô mon jeune ami ! de ta voix adorée
Mon oreille attentive aime les doux accents
Plus que les sons divins d'une lyre inspirée,
Dans l'espace, le soir, emportés par les vents.

Parle, dis-moi tes vœux, ta plus chère espérance,
De tes jours écoulés le plus doux souvenir ;
Épanche dans mon sein ta joie ou ta souffrance,
Tes songes du passé, tes rêves d'avenir.

Mais, de notre bonheur chérissant le mystère,
Et le cœur agité par de brûlants transports,
Si tu crains d'en livrer au langage vulgaire
Les secrets innocents et les divins trésors ;

Dans l'azur de tes yeux laisse briller ton âme,
Mon regard la comprend, tu le sais, tous les deux
N'avons-nous pas ainsi de la plus pure flamme
Échangé doucement les célestes aveux ?

Sur mon front rougissant, quoi ! ta lèvre se pose ;
Ah ! si chaste et si doux tu m'as pris ce baiser,
Que son charme naïf me rassure, et que j'ose
Te le rendre plutôt que te le refuser.

Ô mon amour ! dis-moi que toujours notre vie
S'écoulera paisible ainsi que ces flots purs
Qui vont, en arrosant les fleurs de la prairie,
Cacher leur cours heureux dans des vallons obscurs.

Qu'ai-je dit, ô mon Dieu ! quelques jours, et peut-être,
Sous les feux du soleil, sous la main des faucheurs,
Nos regards attristés auront vu disparaître
Et le ruisseau limpide et les modestes fleurs.

Un moment qui nous luit savourons bien l'ivresse,
Qui sait ce que demain peut apporter d'effroi ?
Aujourd'hui le bonheur, les baisers, la tendresse ;
Demain ? demain peut-être, emporté loin de moi,

De l'océan du monde affrontant les orages,
À toi, crédule enfant, qui comptes sur le sort,
Les fruits amers cueillis sur de lointains rivages
Et les écueils brisant ton esquif loin du port.

Tandis que dans ces lieux ton amante enchaînée,
Comme un oiseau captif sous de cruels réseaux,
Impuissante à lutter contre la destinée,
Consumera ses jours dans un mortel repos.

Ah ! qu'aujourd'hui du moins tout entier m'appartienne
Sous ces ombrages verts, ami, reposons-nous ;
Je suis heureuse ainsi, mes deux mains dans la tienne ;
Les yeux fermés au jour, ton front sur mes genoux.

Car je t'aime, vois-tu, de l'amour qu'une mère
A pour le premier-né qui s'abreuve à son sein ;
Ma tendresse n'est point une flamme éphémère,
C'est un feu chaste et pur, c'est un rayon divin.

Je voudrais être l'ange à qui, dès ta naissance,
Dieu confia le soin de veiller sur tes jours,
Ce bel ange dont l'aile abrita ton enfance
Et garde encor ton cœur des coupables amours.

Si tu dois rencontrer le bonheur, si la gloire
Se lève, astre brillant, sur ton bel horizon,
Perdant sans murmurer ma place en ta mémoire,
Dans mon lointain exil je redirai ton nom.

Mais, trompé par l'espoir dont ton âme est remplie,
Triste, découragé, las de combattre en vain,
Si tu sentais un jour le mépris de la vie,
Sentiment inconnu, s'éveiller dans ton sein ;

Si tes pas fatigués loin des sources limpides
Égaraient ta jeunesse, imprudent voyageur,
Pareil à l'oasis dans les sables arides,
Pour t'abreuver d'amour je garderai mon cœur.

Ce cœur qui t'appartient, ce cœur dont la tendresse
En parole ineffable, en délirant transport,
Dans les moments d'angoisse et les jours de détresse
Doit s'exhaler plus vive et plus sublime encor.

Cependant le jour baisse et la nuit va descendre,
Le pâtre au chant joyeux rassemble son troupeau,
De la cloche du soir le bruit se fait entendre
Et dans son humble nid revient le jeune oiseau.

De notre asile aussi, tous deux, prenons la route ;
Ma mère, j'en suis sûre, est au bord du chemin,
Le temps lui semble long ; attentive, elle écoute,
Et nous cherche de l'œil à l'horizon lointain.


Antoinette Quarré.