L'ami fidèle, de Léon Boitel.

L'ami fidèle.

Recueil : Les feuilles mortes (1852)
Ami fidèle, ami discret,
Près duquel on s'aime et s'oublie,
D'où vient que, triste et recueillie,
Ton âme soupire en secret ?

Comme la source qui, sans cesse,
S'infiltre et se fait un chemin,
Un jour le sanglot qui t'oppresse
S'échappera-t-il de ton sein ?

Ainsi qu'à travers la prairie
Isolés on voit deux ruisseaux
Se fuir et confondre leurs eaux,
Epanche en moi ta rêverie.

Vivant, c'est prendre le linceul
Que de s'enfouir en sa tristesse ;
Son poids est trop lourd pour toi
Fais une part pour ma tendresse.

Chaque plaisir a sa douleur,
Chaque douleur sa jouissance ;
Le calme de l'indifférence
Ne vaut pas l'orage du cœur.

L'amour est l'âme de ton âme,
C'est son poison, c'est son trésor ;
Et ton sein renferme sa flamme
Ainsi qu'un avare son or.

Riche à notre âge est l'existence :
L'horizon va toujours croissant ;
Dans l'avenir mets l'espérance,
Et du passé fais le présent.

Que ton coeur ne soit plus au gouffre
Où tout s'anéantit pour moi !
La plainte soulage qui souffre
Voilà mon coeur, soulage toi.

Léon Boitel.