Un coeur brisé, de Louise Colet.

Un coeur brisé.

Recueil : Les fleurs du Midi (1836)
Ô souvenir de pleurs et de mélancolie !
Ceux que j'aurais aimés ne m'ont point accueillie,
Ou bien, insoucieux,
Ils vantaient ma beauté sans comprendre mon âme,
Et ne soupçonnaient pas sous ces dehors de femme
L'ange tombé des cieux !

Comme un lac, dont la brise effleure la surface
Sans agiter le fond,
Ces êtres aux coeurs froids, ou tout amour s'efface,
Pour moi n'eurent jamais un sentiment profond.

Innocence, candeur, tendresse virginale,
Ils vous abandonnaient sans larmes, sans regret ;
Et toujours triomphait dans leur âme vénale
Un vulgaire intérêt.

Ils passaient tous ainsi comme des ombres vaines
Le fantôme adoré, l'idéal que j'aimais,
Celui qui de ma vie eut adouci les peines
N'apparaissait jamais !

Jamais l'aveu chéri qui captive une femme,
Qui mêle pour toujours son âme vierge à l'âme
D'un jeune fiancé
Ne porta dans mes sens une ivresse suprême ;
Non, jamais par l'amour, jamais ce mot, je t'aime,
Ne me fut prononcé !

Jamais, en s'élançant au seuil de ma demeure
Un mortel adoré ne me dit : Voici l'heure
Promise à ton ami !
Et triomphant malgré la pudeur qui résiste
N'effleura d'un baiser mon front rêveur et triste !
Non, jamais dans ma main une main n'a frémi.

Nul rayon de bonheur sur mes jours ne se lève ;
L'amour que j'appelais ne m'a pas répondu !
Déjà mon front pâlit et mon printemps s'achève,
Et pour moi l'avenir est à jamais perdu. »

Elle parlait ainsi, la femme délaissée,
Et dans son sein brûlant fermentait sa pensée ;
Puis, jetant un regard de merci vers les cieux,
Pour ne plus les rouvrir elle ferma les yeux.


Louise Colet.