Amour double, de Louis Bouilhet (1872).

Amour double.

Recueil : Dernières chansons (1872)
Ami, tu disais toi-même :
— Et j'entends encore ta voix —
Il ne se peut pas qu'on aime
Deux maîtresses à la fois !


Tu m'as bien trompé !... regarde
L'effet d'un mot hasardeux :
J'ai vécu sans prendre garde,
Voilà que j'en aime deux !

Je ne sais pas trop laquelle
Me cause moins de souci ;
Car, si l'une est la plus belle,
L'autre est la plus belle aussi.

Où me fixer ? comment faire ?
Le doute a gagné mes yeux :
C'est l'une que je préfère,
C'est l'autre que j'aime mieux.

Et mon pauvre cœur qui flotte
De l'une à l'autre beauté
Semble un vaisseau sans pilote
Par tous les vents emporté.

— Amour, qui me dois connaître,
Pourquoi doubler mes douleurs ?
Il suffisait d'une, ô maître,
Pour me coûter bien des pleurs !...


Louis Bouilhet.