La rose de mon rêve, de Maurice Bouchor.

La rose de mon rêve.

Recueil : Poème de l'amour et de la mer (1892)
L'autre nuit, j'ai cueilli la rose de mon rêve ;
Par cette belle nuit, je n'étais soucieux
Ni des étoiles, ni du vent capricieux
Qui siffle une chanson que jamais il n'achève.

Aux mystiques rayons d'un amour éternel
J'ai vu la fleur mystique heureusement éclose,
Et quand mes doigts tremblants ont effeuillé la rose,
Les pétales se sont envolés dans le ciel.

Comme des papillons de pourpre aux ailes fines
Ils ont tourbillonné dans l'espace infini :
Et le souffle du soir, odorant et béni,
Les a dispersés tous vers les hauteurs divines.

Mais il en est resté dans l'air tiède et léger
Je ne sais quel parfum dont s'imprégnait mon être ;
Je me sentais mourir et sans cesse renaître
Dans l'océan d'amour où je m'étais plongé.

Oh ! que tout change, et qu'un nouveau soleil se lève ;
Que sur les mondes morts plane le temps vainqueur ;
Jamais je ne pourrai me l'arracher du cœur
La nuit où j'ai cueilli la rose de mon rêve.


Maurice Bouchor (1855-1929).