L'attente, de Charles de Pomairols.

L'attente.

Recueil : Les rêves et sentiments (1880)
C'est demain, bientôt, à l'aurore,
Que je vais, mon amour, te revoir ;
Mais ce jour n'étant pas encore,
Je languis dans un âcre espoir.

Bien que l'instant de mon ivresse
Doive fatalement venir,
Je ne puis faire qu'il paraisse,
Pas plus qu'alors le retenir.

Je ne puis activer les heures,
Je les regarde fuir, j'attends
Dans les mauvaises les meilleures :
On ne peut rien contre le temps.

Cette substance insaisissable
Qui mesure tous nos chemins
Et se divise en grains de sable,
Echappe à l'effort de nos mains.

C'est bien vainement que je lutte
Contre ce fantôme léger ;
Non, pas même d'une minute,
Le temps ne se laisse abréger.

Il faut qu'il passe et se déroule,
Que son être, vide ou rempli,
Seconde à seconde s'écoule
Jusqu'au bout du terme accompli.

Oh ! si sous moi, sous ma colère,
Je l'avais comme un bon cheval
Que l'éperon rude accélère
À travers le mont et le val,

Je lui ferais franchir l'espace
D'un élan si beau qu'alentour
On dirait : cet éclair qui passe,
Ce ne peut être que l'amour !

Mais le temps refuse la course :
Ô sommeil indolent et fort,
Tu restes ma seule ressource,
Toi qu'on dit frère de la mort !

Et j'aime, à l'heure où j'y succombe,
Tes abîmes parfois maudits
D'où je vais, comme de la tombe,
M'éveiller en plein paradis !


Charles de Pomairols (1843-1916)