Le chat de la maison, d'Eugène Goubert.

Le chat de la maison.

Recueil : Les rêves et sentiments (1880)
Certain chat émérite à la moustache blanche
Avait dans un palais établi son séjour.
Bien choyé, bien nourri, faisant la nuit du jour,
Pour lui la vie était un long dimanche.
Notre grippe-souris possédait dans sa manche
Pour charmer plus d'un tour.
Aussi, quels bons morceaux tombaient dans son assiette !
Le gaillard n'en laissait jamais perdre une miette.
Il faisait le gros dos, et par ses doux ronrons,
Dans tous les tons,
Montrait une âme satisfaite.

Or, il advint — du sort retour fatal, —
Que, frappé d'un revers, son infortuné maître
Dut quitter les beaux lieux, créés par lui, peut-être,
Et chercher un asile, hélas ! à l'hôpital !
N'emportant que son chat comme un ami fidèle,
Loin de douter un seul moment
Que l'animal à la douce prunelle
Pour lui manquât d'attachement.
Cependant un matin on cherche notre bête ;
Elle avait disparu.
En vain de récompense honnête
Promit-on le tribut
À qui ramènerait des rats le trouble-fête,
Pour le reprendre nul ne fut assez actif.
Pendant ce temps, que fait le fugitif ? —
De retour au palais, il s'efforce de plaire
Au nouvel habitant par ses jeux, par ses tours ;
De ses flancs il le presse, il le flatte, il le flaire,
Et pour lui seul enfin fait patte de velours !

Combien de gens à la féline race
Avec raison l'on pourrait comparer !
On les voit prosternés aux pieds de l'homme en place,
Et de leur dévouement sans cesse se parer.
Tombe-t-il ? — Vite ils font, sans rougir, volte-face,
Et de son remplaçant ils courent s'emparer !

La maison peut changer de maître,
Mais d'amis point, il faut le reconnaître !


Eugène Goubert