Le premier soir d'amour, de Maurice Bouchor.

Le premier soir d'amour.

Recueil : Poème de l'amour et de la mer (1892)
S'il me fallait mourir le premier soir d'amour
Où ton âme serait fiancée à la mienne,
Où ton corps, éclatant de la splendeur du jour,
A mon corps enlacé comme par une chaîne,
Me livrerait ses chairs superbes, ses seins blancs
Dont les pointes sont des rubis étincelants,

Avec sa large hanche à l'opulent contour
Et ses jambes d'ivoire amoureuses et fines ;
S'il me fallait mourir par ce beau soir d'amour
Dans un enivrement de voluptés divines,
Je n'hésiterais pas, et mon cœur tourmenté
Dans un instant mettrait toute une éternité.

Et je me coucherais, pour ne plus m'éveiller,
Sous des rideaux de pourpre et parmi les dentelles ;
Je poserais mon front brûlant sur l'oreiller,
Et, quand j'aurais goûté tes caresses mortelles,
Je baiserais ta bouche et je m'endormirais
Dans le tiède parfum de ton corps jeune et frais.

Maurice Bouchor (1855-1929).