Mon enfant tu deviens homme, d'Élise de Pressensé.

Mon enfant tu deviens homme.

Recueil : Les poésies nouvelles (1869)
Enfant, tu deviens homme, et chaque jour la vie
T'ouvre plus largement ses horizons lointains.
Tu pressens sa grandeur, tu la veux ennoblie
De travail, de devoir et de dangers certains.

Tu deviens homme, enfant. Une ombre de tristesse
Me voile l'avenir qui s'ouvre sous tes pas
Loin de nous... Et pourtant ton rêve de jeunesse
Est un rêve viril et je n'en rougis pas.

Être homme, le sais-tu ? Ce n'est pas peu de chose.
C'est être patient, c'est être juste et fort,
C'est vouloir, c'est aimer, à toute noble cause
C'est donner en entier sa vie et son effort.

C'est employer sa force à servir la faiblesse ;
C'est souffrir, c'est lutter avec les opprimés ;
C'est vouloir relever tous ceux que l'on abaisse,
C'est porter dans son cœur tous les déshérités.

Pour être homme il faut croire à de saintes chimères,
Il faut avoir au cœur de divines pitiés,
Il faut vouloir marcher, loin des bonheurs vulgaires
Dans les âpres sentiers.

Être homme, c'est d'abord se posséder soi-même.
Pour être libre, croire à moitié c'est trop peu,
Car la foi met en nous la liberté suprême
De n'obéir qu'à Dieu.

Être homme, c'est marcher sur la trace bénie
Que Jésus a laissée en passant ici-bas,
C'est aimer comme lui, c'est vivre de sa vie,
C'est l'avoir pour soutien dans les rudes combats.

Mais pour le devenir, enfant, reste fidèle
Au devoir d'aujourd'hui : travailler, obéir.
L'heure que tu vois fuir, souviens-t'en, porte en elle
Ou le mal ou le bien, germe de l'avenir.


Élise de Pressensé (1826-1901)