La paresse, de Pierre Grolier.

La paresse.

Recueil : Ballades et romances (1875)
Le ciel est pur, l'air doux, et le soleil humide
De son blanchâtre éclat embellit le jardin,
Sans blesser de ses feux la prunelle timide,
Sans brûler le feuillage et basaner le teint.
Par ce soleil de mai, qu'il est doux de rien faire !
De muser tout un jour dans un bois solitaire !

De s'enfoncer dans l'ombre, et puis au carrefour
De revoir éclater la splendeur d'un beau jour !
Farniente ! c'est là le bonheur de la vie !
Oh ! si Démiourgos, pour combler mon envie,
Me donnait de choisir dans ses mondes nombreux
La figure et le rang qui me feraient heureux :

Je ne demanderais ni l'aile d'un archange,
Ni le front d'une femme aussi belle qu'un ange ;
Je ne voudrais guider, ni l'astre aux cheveux d'or,
Ni du galop joyeux le fantastique essor ;
Je voudrais me cacher dans un trou solitaire,
M'étaler sur la mousse, et jamais ne rien faire !

Être lézard enfin, lézard d'un gris perlé,
Sommeillant au soleil, en spirale roulé :
Non point dans nos climats de brouillards et de pluie,
Où la nuit vient mouiller ce que le jour essuie ;
Mais sous un ciel plus chaud, un ciel italien,
Un ciel où ne rien faire est le suprême bien.

Farniente ! bonheur ! Dormir, s'étendre à l'aise,
L'été près d'un étang, sur une humide glaise,
Et l'hiver dans la mousse, aux fentes d'un rocher,
Où pas un pied humain ne me viendrait chercher ;
Et là, sans nuls soucis, sans regrets, sans envie,
Attendre, en souriant, le terme de ma vie !


Pierre Grolier.