Soyez ma sœur, de Prosper Blanchemain.

Soyez ma sœur en vain espérée !

Recueil : Les poésies et sonnets (1868)
Je ne l'ai point connu ce nom charmant de sœur :
Jamais une voix pure et chère
D'un accent féminin, parlant avec douceur,
Ne m'a donné le nom de frère.

Mais souvent m'apparaît, songe délicieux,
Cette sœur en vain espérée,
Et j'entends sa parole et je vois, sous mes yeux,
Resplendir sa forme adorée.

Je la vois jeune, belle, et séduisant chacun
Sans même songer à séduire ;
Comme la fleur qui brille ignorant son parfum
Et qui s'étonne qu'on l'admire.

Lorsqu'en moi j'ai créé la sœur que j'aimerais,
Frêle ébauche qu'un souffle enlève,
Lorsque de traits choisis j'ai composé ses traits,
Je me prends à chérir mon rêve.

Je l'aime de l'amour dévoué qu'on ressent
Pour son enfant ou pour sa mère ;
Et l'apparition que je vais caressant
N'est plus peut-être une chimère.

Cette sœur tant cherchée, ma chère, est-ce vous ?
Vivant près de vous, je m'enivre
De je ne sais quel charme inexprimable et doux,
Et je me sens heureux de vivre.

Vous faites toujours bien. Vos moindres mouvements
Ont une grâce qui me touche ;
Les mots tristes ou gais me semblent plus charmants
S'ils ont passé par votre bouche.

Le chant que vous aimez emprunte à votre voix
Un attrait que n'ont pas les autres,
Et le clavier d'ivoire a, sous les autres doigts,
Un son moins pur que sous les vôtres.

Mais ce que j'aime en vous, ce n'est pas la beauté
De ce visage qu'on adore ;
Car je vois à travers resplendir la clarté
De votre âme plus belle encore.

D'une longue paupière aux cils de velours noir,
Votre prunelle est enchâssée ;
Qu'importe ! Je ne cherche en ce vivant miroir
Qu'un reflet de votre pensée.

Votre lèvre s'entrouvre et fait briller vos dents,
Ces perles de votre sourire...
Moi, je prête l'oreille à ces mots abondants
Où votre cœur parle et respire.

Oh ! vous pourrez vieillir ! Pour les indifférents,
Vous pourrez n'être plus la même ;
Les jours n'engloutiront, dans leurs flots dévorants,
Aucun débris de ce que j'aime.

Car je l'aurai connu ce nom charmant de sœur ;
Car une voix suave et chère,
D'un accent féminin, parlant avec douceur,
M'aura donné le nom de frère.

Prosper Blanchemain (1816-1879)