Adieu aux belles filles, de Maurice Bouchor.

Adieu aux belles filles.

Recueil : Poème de l'amour et de la mer (1892)
Mon cœur saigne en voyant passer les belles filles,
Les filles qui s'en vont chantant ou bien rêvant,
Légères comme un rêve et leurs cheveux au vent,
Et prennent le chemin des obscures charmilles.

Je ne les suivrai plus, les filles aux doux yeux,
Par les sentiers obscurs qui se perdent dans l'ombre
Où chuchotent sans fin de longs baisers sans nombre
Qui font bénir la vie et dédaigner les cieux.

Mon cœur ne se veut plus laisser prendre en leurs trames,
En ces trames d'amour qu'elles savent ourdir,
Et le printemps a beau renaître et reverdir,
Je veux fermer mes yeux au sourire des femmes.

Et pourtant, mon cœur saigne à les voir s'éloigner,
Leurs grands cheveux au vent, joyeuses et légères ;
Les heures d'autrefois qui me furent si chères
Sonnent dans ma mémoire et vont encor sonner,

Et sonneront toujours, tant que les belles filles
Passeront près de moi me regardant un peu,
A leur virginité disant un long adieu,
Avant de se livrer aux profondes charmilles.


Maurice Bouchor (1855-1929).