Les souvenirs les plus lointains, de Maurice Bouchor.
Les souvenirs les plus lointains.
Recueil : Poème de l'amour et de la mer (1892)
Les souvenirs les plus lointains Sont les plus près du cœur, peut-être...
Au ciel frais des anciens matins
Qu'il est bon d'ouvrir sa fenêtre !
Sous les regards tout attendris
Se déroule un doux paysage ;
Chemins si vite désappris
Par la jeunesse folle et sage,
Et le gazon des espoirs verts
Que le rêve a fleuri de roses,
Comme l'esprit vole au travers
De toutes ces anciennes choses !
Et comme il pense aux soirs d'été,
Aux heures par l'amour remplies
Où nos cœurs d'enfants ont goûté
De si pures mélancolies.
Nous avons vieilli depuis lors ;
Mais qu'il souffle une brise folle,
La jeunesse des printemps morts
Par le bleu de nouveau s'envole.
Tout se met à chanter encor,
Les fleurs agitent leurs pétales
Comme au matin des noces d'or,
Comme aux belles nuits nuptiales !
Et tous les regrets mal éteints
Raniment leur flamme légère :
Les souvenirs les plus lointains
Sont les plus près du cœur, ma chère.
Maurice Bouchor (1855-1929).