Le matin de ma vie a passé comme un songe, de Paul Courty.

Le matin de ma vie a passé comme un songe.

Recueil : Les heures sombres (1869)
Vivre, toujours ce mot ! Qu'est-ce donc que la vie ?
Ce n'est qu'une grotesque et plate comédie,
Où, sans l'utile attention
De consulter nos goûts, on nous impose un rôle,
Et malheureux sont ceux que le Destin enrôle,
Qui n'ont point la vocation.

Puis l'un fait les bouffons, et l'autre fait les traîtres,
Et celui-ci les rois, et celui-là les prêtres ;
L'un est honni, l'autre est loué ;
L'un à cent ans sonnés disparaît de la scène,
L'autre à vingt, trop heureux dans cette farce humaine
D'avoir du moins si peu joué.

Pourquoi l'heure si longue et les ans si rapides ?
Jamais front de vingt ans pourra-t-il croire aux rides,
Quand vivre une heure est un labeur ?
Mais la vieillesse est là ; regardez en arrière
Le chemin parcouru. Plus courte est la carrière
Que le sillon du laboureur.

Le matin de ma vie a passé comme un songe.
Je n'évoque jamais, Avenir, ton mensonge ;
Mais je hais mon printemps cruel.
Ô Souvenir, ô flux du Passé ! ton écume
À mon cœur soulevé ne laisse qu'amertume,
À ma lèvre qu'un goût de fiel.


Paul Courty (1840-1892)