Le mois d'avril, de Charles de Pomairols.

Le mois d'avril.

Recueil : Les rêves et pensées (1880)
En avril deux tons peignent la nature :
Les prés et les blés brillent de verdure,
Mais le bois ému d'un souffle incomplet
Leur oppose un fond teint en violet.
Ce n'est pas là-haut, sur, les troncs superbes,
C'est en bas, parmi les plus minces herbes,
Tout près de la terre et contre son sein,
Qu'avril, se faisant petit à dessein,
A tenté l'essai de sa couleur fraîche.
La bande d'agneaux, oubliant la crèche
Et les bêlements de l'hiver fangeux,
Sur le pré verdi forme de vrais jeux.
D'un élan d'abord leur troupe galope,
Puis bientôt s'étend et se développe :
Ainsi des garçons dont la bande court
L'un est plus agile et l'autre plus lourd.
Enfance, âge heureux, joie universelle !
Taraison profonde ici se décèle.
L'agneau peut jouer en paix, il sait bien
Qu'un tendre amour veille à son entretien ;
Pendant qu'il folâtre, il voit bien les mères
Que ne tentent plus les jeunes chimères,
Sans lever la tête et sans s'arrêter,
Aller gravement et toujours brouter,
Les lèvres au sol, tant que le jour dure,
Choisissant exprès la fraîche verdure,
Dédaignant les fleurs et le jeu qui plaît,
Afin que l'agneau ce soir ait du lait.


Charles de Pomairols (1843-1916)