L'oubli du passé, de Prosper Blanchemain.

Oh ! donnez-moi l'oubli !

Recueil : Les poésies et sonnets (1868)
Oh ! donnez-moi l'oubli ! l'oubli profond et morne,
Qui n'a point de limite et qui n'a point de borne,
Qui ne se souvient plus d'un seul fait accompli,
Soit triste, soit heureux... Oh ! donnez-moi l'oubli !
Pourquoi se souvenir ? Le souvenir oppresse.
Pour une seule joie il est tant de tristesse ;
Tant de jours nébuleux pour un jour de soleil :
Tant de rêves joyeux dont on pleure au réveil !

N'est-il pas meilleur d'être calme et sans trouble.
Glacé comme un miroir où l'image se double,
Que de sentir son cœur se gonfler de sanglots,
Sombre océan dont rien ne peut calmer les flots ;
Vivre inquiet toujours ; se tourmenter de l'ombre
Qui passe sur un front tantôt gai, tantôt sombre ;
Aimer, aimer sans fin et n'en pouvoir guérir,
Jusqu'à ce que l'on meure à force de souffrir ;

Se dire qu'on dépend de cette âme adorée
Qui passe devant vous souriante et parée,
Sans penser seulement qu'auprès d'elle, à l'écart,
Il est un être aimant qu'avec un seul regard
Elle ferait plonger tout vivant dans un gouffre,
Un être son captif, qui l'adore, qui souffre,
Et qui se brise enfin à force de plier ! ...
Oh ! donnez-moi l'oubli ! ... faites-moi l'oublier !

Prosper Blanchemain (1816-1879)