Où naquit autrefois ma mère, de Charles de Pomairols.

Où naquit autrefois ma mère.

Recueil : Les rêves et sentiments (1880)
Pour un fils une joie amère
Qui lui rend les jours révolus,
C'est de voir la ville étrangère
Où naquit autrefois sa mère,
La sainte femme qui n'est plus.

Voilà, pense-t-il, cette ville
Où, dans un âge sans retours,
Au sein du paternel asile
Elle vécut, simple et tranquille,
Les plus beaux des rapides jours.

Ce lieu ne vit que sa jeunesse
Et ses naïfs commencements ;
Là le destin plein de promesse
Ne lui donna que pure ivresse,
Exempte encore de tourments.

Espérance fraîche qui brille
Et déjà s'incline au devoir,
Ma mère, enfant et jeune fille,
Fleur et non souche de famille,
Telle en ce lieu je crois la voir.

Son âme enfant dut être douce,
De cette suave douceur
Devant qui tout orgueil s'émousse,
Qui chérit les siens sans secousse,
L'idéal même de la sœur.

Et sa jeunesse fut sereine,
Et ceux qui l'avaient pour trésor
L'admiraient, humble souveraine,
Mêlant pour soulager la peine
Sa parole affable à leur or.

Et puis, vers un pays plus rude
Elle partit avec l'époux,
Elle eut pour chère servitude
La maternelle inquiétude
Qui sans cesse veillait sur nous.

Pour moi, sa blonde chevelure
Qu'aucun fil n'argentait ici,
Des ans ayant subi l'injure,
M'apparaît, ombrant sa figure
Avec les neiges du souci.

Né trop tard, je n'ai connu d'elle
Que l'âge où le front s'embrunit,
Et ma mémoire trop fidèle
Mieux encore, hélas ! me rappelle
L'heure d'angoisse où tout finit.

Mais ces lieux empreints d'un sourire
Me font voir ma mère à vingt ans ;
Mon cœur, qui de regret soupire,
Tout à la fois ici respire
Un parfum tendre de printemps.


Charles de Pomairols (1843-1916)