Pour un moment d'ivresse, de Fréderic Marth.

Pour un moment d'ivresse.

Pour un moment d'ivresse, un instant de bonheur
Qui scintille un matin tout à coup dans notre âme...
Combien de sombres jours, monotones, sans flamme,
Combien d'âpres tourments qui déchirent le cœur,
Combien de flots pressés d'éternelle détresse,
Pour un moment d'ivresse !

Pour un moment d'ivresse, une heure de gaieté,
Comme un éclair qui passe et jette sa lumière...
Combien d'êtres chéris déposés dans la bière,
Combien d'aigres soucis sous le front hébété,
Combien de noirs regrets dont le poids nous oppresse,
Pour un moment d'ivresse !

Pour un moment d'ivresse, un doux rayon d'espoir
Qui vient subitement étinceler dans l'ombre...
Combien de jours de deuil et de sanglots sans nombre,
Combien de bras tombant désespérés le soir,
Combien de cris sortis d'abîmes de tristesse,
Pour un moment d'ivresse !

Pour un moment d'ivresse, une perle d'azur,
Une humble bulle d'eau que le soleil irise...
Que de longs mois d'hiver désolés par la bise,
Que d'aveugles marchant sous un ciel obscur,
Que d'épouvantements s'amoncelant sans cesse,
Pour un moment d'ivresse !

Fréderic Marth (1852-1911)