Voyager, s'en aller bien loin, de Fréderic Marth.

Voyager, s'en aller bien loin.

Recueil : Les poésies et sonnets intimes (1884)
Oh ! voyager, courir à travers les montagnes,
Les plaines, les forêts, les ravins, les vallons ;
Traverser les hameaux, les routes, les campagnes,
Et laisser de son âme aux branches des buissons.

Aller sur les chemins, selon sa fantaisie,
Errer de tous côtés, au gré de son désir,
Rester au coin d'un bois, longtemps, l'âme saisie,
Parce qu'un chant d'oiseau vous aura fait plaisir.

Boire à toutes les fleurs les gouttes de rosée,
Sentir l'air parfumé des haleines du thym,
Et bénir à deux mains la nature embrasée,
Lorsque l'aurore est là qui sourit le matin.

Suivre d'un doux rayon la fugitive flamme,
Dans les prés veloutés s'endormir chaque soir,
Des fleurs entre les bras et du bonheur plein l'âme,
N'ayant plus un désir, mais toujours de l'espoir.

Oh ! voyager, courir, oublier tout le monde,
N'avoir plus de boulet qui vous blesse le pied,
Voir partout le ciel bleu, partout la terre blonde,
Et se sentir au cœur des ailes de ramier.

Voyager, oublier les horreurs de la ville,
Les hommes cherchant l'or, plongés dans les égouts,
Et qui, louchant de haine et de bassesse vile,
Vous traînent sans répit de dégoûts en dégoûts.

Oublier tous ces gens qui vous disent : « Je t'aime,
Reste, je veux de toi m'enivrer tout le jour ; »
Mais qui pèsent le cœur, discutent le ciel même,
Et comme des marchands vous mesurent l'amour.

Oh ! s'en aller bien loin où le tumulte expire ;
Pour se voir seul, un jour, perdu vers l'Orient,
Après avoir longtemps vécu dans un sourire,
Parmi les blés jaunis mourir en souriant.

Fréderic Marth (1852-1911)