À toi qui es si loin de moi, de Prosper Blanchemain.

Je voudrais te savoir heureuse.

Recueil : Les poésies et sonnets (1868)
Je voudrais te savoir heureuse et couronnée
Du bonheur idéal que j'ai rêvé pour toi,
Me fallût-il te perdre et te voir entraînée
Loin de moi !

À toi l'éclat, la joie ; à moi le deuil et l'ombre !
Mais au sein des plaisirs naissants autour de toi,
Si parfois dans ton cœur il restait un coin sombre,
Pense à moi !

Si jamais ta gaieté fuyait à tire-d'aile,
Si tes amis trompeurs se détournaient de toi,
Songe qu'il en est un dont le cœur est fidèle :
Aime-moi !

Si le sort te trahit : ― le bonheur, comme une onde,
Peut fuir, et dans un jour tout briser devant toi !
Si, pauvre et sans appui, tu restes seule au monde,
Viens à moi !

Mais non ! que l'Eternel détourne les orages,
Que la sérénité rayonne autour de toi !
Que l'oubli, la douleur et les sombres nuages
Soient pour moi !

Prosper Blanchemain (1816-1879)