Tristesse, de Paul Courty.

Tristesse.

Recueil : Les heures sombres (1869)
Le front abaissé vers la terre,
Que cherches-tu, jeune rêveur ?
Je cherche, à travers la poussière
Humide encor de ma sueur,

Je cherche à mon bras qui retombe
Par ses durs labeurs affaibli,
Un sillon où creuser ma tombe
Sous mes pleurs brûlants amolli.

Je cherche à ma fière souffrance
Un vallon perdu des humains
Où la Pitié ni l'Espérance
Ne lui viennent tendre les mains ;

Un désert où le vent efface
L'empreinte et l'odeur de mes pas ;
Où mon chien, hurlant sur ma trace,
Me cherche et ne me trouve pas.

Je cherche un sentier solitaire
Où, m'étendant sur mon manteau,
Il me reste un seul pas à faire
Pour rouler au fond du tombeau ;

Où, déployant son linceul sombre
Comme un sable mouvant, l'Oubli
S'avance, et recouvre mon ombre
De son insoulevable pli.

Et puis — pour ne plus voir la Vie
Arrêtant mes yeux sur la Mort
Je viendrai m'asseoir sur le bord,
Sans regret comme sans envie.


Paul Courty (1840-1892)