Vos douleurs sont à moi, d'Élise de Pressensé.

Vos douleurs sont à moi.

Recueil : Les poésies nouvelles (1869)
Je ne suis pas de ceux qui luttent et s'épuisent,
Pour qui tout se résume en un seul mot : Souffrir.
Je ne suis pas de ceux qui chaque soir se disent :
Où prendrai-je demain le pain pour me nourrir ?

Je ne suis pas de ceux que leur travail sordide
Tient courbés d'un matin jusqu'à l'autre matin.
Je ne suis pas de ceux à qui le sol aride
Pour leur sueur de sang rend un morceau de pain.

Je ne suis pas de ceux de qui les mains meurtries
Ne s'arrêtent jamais dans leur ingrat labeur.
Je ne suis pas de ceux dont les larmes taries
Ainsi qu'un plomb brûlant retombent sur leur cœur.

Je ne t'appartiens pas, multitude héroïque
Des travailleurs obscurs et des déshérités ;
Non, je suis des heureux... Dans ce partage inique
J'ai les biens d'ici-bas, vous les adversités.

Mais l'abîme entre nous, ce n'est qu'une apparence ;
Le cœur qui sait aimer connaît une autre loi.
Oh ! croyez-le, je souffre... et par cette souffrance,
Echo de vos douleurs, vos douleurs sont à moi.


Élise de Pressensé (1826-1901)