L'oubli des morts, de Paul Collin.

L'oubli de nos morts.

Recueil : Les poèmes musicaux (1886)
Pensez-vous quelquefois à ceux qui dans la tombe
Dorment, glacés et nus, le sommeil du trépas,
Sur qui souffle l'hiver, sur qui la neige tombe,
Sur qui la nuit gémit ? — Non, vous n'y pensez pas !

Venez-vous quelquefois sur leur humide pierre
Rêver les yeux en pleurs, et les genoux pliés ?
Versez-vous les parfums bénis de la prière
Sur leurs restes chéris ? — Non, vous les oubliez !

Pourtant ils vous aimaient : vous les aimiez vous-mêmes,
Vous eussiez tout donné, tout, pour les retenir
Au solennel instant de leurs adieux suprêmes ;
Et pour eux vous n'avez pas même un souvenir !

Eh bien ! que croyez-vous qu'ils disent et qu'ils pensent
Au fond de leur tombeau, ces pauvres délaissés,
En face de ces deuils qui chantent et qui dansent
Après que quelques jours à peine sont passés ?

Vous ne savez donc pas que leur âme immortelle
Vous contemple et frémit de ce lâche abandon !
Si leurs yeux sont fermés, cette âme vous voit, elle ;
Venez vite à vos morts demander leur pardon.

Car moi, je suis certain, certain de les entendre,
De notre ingratitude étonnés bien souvent,
Nous en faire un reproche à la fois grave et tendre,
Le soir, quand tout se tait, dans les plaintes du vent.

Paul Collin (1843-1915)